Voici le dernier volet du reportage commencé ICI, je vous invite à aller le lire.
Et la suite du témoignage de cette rescapée.
Je nais enfin du ventre de cette chose, et dehors : l’enfer : des corps, les valises et sacs éventrés sur plusieurs centaines de mètres derrière le bus, des êtres humains aussi… Je ne vois plus mon beau père, je le cherche, je regarde tout autour de moi : où sont les filles, ma belle mère??? Mon bébé est encore accroché à moi. Doucement, je presse son visage dans mon cou : il ne faut pas qu’elle voit, qu’elle comprenne, qu’elle sente cette odeur… J’avance vers l’arrière du bus, sans courir (je ne peux pas, mes jambes me font si mal : je crois que mes mollets ont été arrachés…) il faut que je m’éloigne de cette « bombe à retardement », je me retourne, les roues tournent encore, son ventre est noir et sale… Je forme une bulle avec ma fille, on ne fait plus qu’un elle et moi… Ce que mes yeux voient, ce que mes oreilles entendent, c’est dehors… je ne peux rien d’autre que vouloir mettre ma fille à l’abri…
Je me décide à traverser, j’ai peur des voitures qui arrivent. Le sur-accident ??? Je m’éloigne le plus possible mais pas trop : nous sommes en pleine campagne, c’est la pleine lune, il fait doux… Je chante des berceuses, je presse sa tête contre ma nuque, j’avance et je chante. Pardon… Pardon à ceux qui sont là et qui m’entendent chanter doucement…pardon, je ne peux pas lâcher mon bébé, nous sommes collées l’une à l’autre.
Les minutes sont longues, qui viendra à notre secours : la mort s’est battue, a voulu nous arracher à la vie, nous avons senti ses crocs, son haleine fétide mais… mais… la vie s’est battue pour nous arracher à ses griffes, elle a gagné… pour nous..
Nous sommes au bord du chemin, d’autres victimes sont assises à quelques mètres. J’ai pas envie de parler, je veux voir un médecin : qu’on me confirme que mon bébé n’a pas de lésions internes, qu’on l’ausculte… j’attends et je chante et je serre mon bébé contre mon coeur. Maman est là.Shhhttttt.
Les premiers véhicules de secours… puis les anges sont descendus, ils ont marché vers nous, je n’ai vu que leurs regards, je n’ai senti que leur présence rassurante, bienfaisante. Un jeune pompier, doucement, a posé une couverture sur mes épaules, m’a aidé à me relever… La vie, la chaleur humaine… où sont les autres???
Dans la tente montée en hôpital de campagne, enfin un médecin touche ma petite, l’ausculte et me rassure. Bien sur il faudra des radios mais, ça va. Ça va aller.
Sur le lit voisin, un beau jeune homme, un étudiant espagnol, le visage d’un ange : dans le bus, quelques heures auparavant, il s’était retourné vers nous, attendri probablement par ma petite fille. Il nous avait gentiment souri et s’était retourné. Là, sous la tente, il nous a souri à nouveau mais, plus terne : nous avons eu beaucoup de chance, il faudra nous en souvenir.
L’ambulancier veut nous emmener, et pour cela, nous séparer ma fille et moi : impossible. Le pompier, le premier ange venu vers nous, s’interpose : laissez les, elles en ont vu assez. Laissez-les ensemble, vous ne pourrez de toutes façons pas les séparer… Nous sommes dans l’ambulance, ma fille, épuisée, dors sur mon ventre : je suis remplie de gratitude : envers Dieu, envers les hommes, ma fille va bien. Le reste, je devrai le gérer aussi, mais pas maintenant.
Le personnel de l’hôpital de Nîmes a fait preuve de chaleur, de bienveillance, d’intelligence de coeur. Les mots me manquent.
Le lendemain, nous avions l’information selon laquelle, ma fille et moi étions les seules survivantes. Je reste dans ma bulle, je ne peux pas encore gérer ça. Ma raison comprend, ma raison sait mais je dois rester debout et solide, pour ma petite.
Mon compagnon, son frère et son épouse sont arrivés par le premier avion… Ils ont été conduits auprès des victimes décédées. Ils ont reconnu leur père, leur mère, leur plus jeune fille…… mais la grande, ils ne savaient pas… Ce n’est qu’après de longues heures de recherche, qu’ils ont enfin retrouvé leur grande fille. Sa vie ne tenait qu’à un fil, mince, très mince. Cette petite s’est accrochée à la vie, de toutes ses forces… Ses parents ont été accueillis dans des familles à Roquemaure, puis à Montpellier, ils sont restés au chevet de leur survivante durant de très longues semaines. L’enfant était intransportable.
Je n’ai pas tenu ma promesse, je n’ai pas veillé sur elles, je n’ai rien pu éviter…
Aujourd’hui, entre ma belle soeur et moi, il y a un mur : ce malheur ne se serait pas abattu sur nous, si je n’avais pas fait ma mauvaise tête. Les enfants auraient embarqué dans le bus initialement prévu par les grands parents et rien de tout cela ne serait arrivé.
Ce malheur ne se serait pas abattu si… on ne m’avait contrainte à monter dans ce bus. Si…Si….
J’ai promis de veiller sur les filles… la petite est morte
Ma fille et moi sommes sorties indemnes : le training, les chaussettes, la capuche qui couvraient ma petite : elle n’avait pas une égratignure.
Comment regarder ma belle soeur, mon beau frère? Nous pardonnerons-nous un jour?
Je n’ai pas eu le courage de me rendre à la chapelle ardente… je voulais éloigner ma fille de cet endroit le plus vite possible.
On m’a proposé d’essayer de récupérer quelques biens… je n’ai pas entendu, j’ai décliné… j’ai laissé ma bible, celle de ma mère plus exactement. J’aurais tellement voulu la retrouver…
J’espère qu’elle est arrivée entre les mains de quelqu’un qui en a besoin, qui pourra en tirer tous les trésors de vie. Que cette bible continue de faire, là où elle se trouve, ce pourquoi elle a été voulue…
Les semaines, les mois après notre retour, furent des mois de reconstruction… Je voulais laisser ce cauchemar derrière moi, derrière nous. Dans mes rêves, parfois, vos visages se penchent encore sur nous et je me souviens du sentiment de réconfort …
Aujourd’hui, je te témoigne toute ma reconnaissance et désire t’envoyer toute la lumière, la douce chaleur que vous nous avez apportée…
…..